lundi 19 septembre 2011

Le rôle politique du roi Albert II en 1993

En tant que nouveau souverain, la première décision d'Albert est d'opter pour la continuité et de conserver les mêmes collaborateurs que son frère : Gérard Jacques (Grand Maréchal de la Cour), Jacques van Ypersele de Strihou (chef de cabinet du Roi), le lieutenant-général Guido Mertens (chef de la Maison Militaire du Roi) et le général-major Vincent Pardoen (intendant de la Liste Civile). Il était important pour le nouveau roi d'avoir à ses côtés des personnes ayant la connaissance et l'expérience des rouages politiques belges. Précisons que le gouvernement fédéral n'intervient pas dans la nomination du personnel du Palais.

Le Grand Maréchal de la Cour est le coordinateur de l'agenda public des souverains, prépare leurs visites en Belgique et à l'étranger, ainsi que toutes les réceptions organisées au palais royal et au domaine de Laeken. Protocolairement, il a la préséance sur tout le personnel du Palais. Diplomate flamand et laïc, Gérard Jacques a été ambassadeur de Belgique en Corée du Sud, en Afrique du Sud et en Israël, avant d'entrer au service du roi Baudouin.

Le chef de cabinet du Roi est son collaborateur le plus important et est le seul dignitaire de la Cour à avoir une audience quotidienne avec le souverain. Il informe ce dernier de l'actualité politique belge et internationale, prépare les audiences, étudie les notes des cabinets ministériels et du parlement, rédige certains discours du Roi et est régulièrement en contact avec le monde politique.

Le néerlandophone et très catholique Jacques van Ypersele de Strihou occupait le poste de chef de cabinet du roi Baudouin depuis 1983. Auparavant, il travailla au Fonds Monétaire International à Washington et fut ensuite président du Comité Monétaire Européen, conseiller de trois ministres belges successifs des Finances (André Vlerick, Willy De Clercq et Gaston Geens), inspecteur général de la Trésorerie belge, chef de cabinet adjoint du premier ministre Léo Tindemans et conseiller économique du premier ministre Wilfried Martens.

La Maison Militaire du Roi informe le souverain de l'état des forces armées belges et étrangères, des projets du ministre de la Défense, des décisions prises à l'Otan, et prépare les activités du Roi dans le domaine militaire. Les aides de camp et officiers d'ordonnance font aussi partie de la Maison Militaire, qui est dirigée par le lieutenant-général Guido Mertens. Ce dernier est entré au Palais en 1981 comme chargé de mission du jeune prince Philippe, puis fut aide de camp du roi Baudouin.

Depuis février 1992, le général-major Vincent Pardoen était l'intendant de la Liste Civile. Il gère les budgets de fonctionnement du Palais, signe les contrats avec les fournisseurs brevetés de la Cour, siège au conseil d'administration de la Donation Royale. Il arrive qu'il soit aussi chargé de l'administration des biens privés de la famille royale.

Si la nomination des collaborateurs du souverain est un subtil équilibre entre les courants politiques et religieux entre Flamands et Wallons, on remarquera que l'alternance entre homme et femme n'avait pas encore été appliquée pour les quatre Hauts Dignitaires de la Cour, les aides de camp et officiers d'ordonnance.

Le lendemain de son accession au trône, Albert II reçoit en audience le président du Sénat Frank Swaëlen, le président de la Chambre Charles-Ferdinand Nothomb et le premier ministre Jean-Luc Dehaene. Comme le veut la coutume, celui-ci lui présente la démission de son gouvernement. Le Roi la refuse. Durant l'après-midi, les gouvernements fédéral, régionaux et communautaires, les hautes autorités judiciaires sont conviés à une réception au palais royal. Albert et Paola regagnent ensuite leur résidence de Châteauneuf-de-Grasse dans le sud de la France.

A son retour de vacances, le Roi accomplit son premier geste politique le 6 septembre en acceptant la démission de Mieke Offeciers, ministre du Budget. Elle est remplacée par Herman Van Rompuy qui prête serment devant Albert II. A nouveau roi, nouveau style. S'il souhaite s'inscrire dans le sillage de son frère défunt, il impose cependant son style. Les hommes politiques sont ainsi surpris de ne plus être reçus derrière l'austère bureau du roi Baudouin, mais dans un salon beaucoup plus convivial. Malgré le sérieux des conversations, l'humour est plus présent avec Albert. Par ailleurs, comme son frère, il décide de ne pas rencontrer les représentants de l'extrême-droite.

Dès le début du règne, les relations avec le premier ministre Jean-Luc Dehaene sont très cordiales, mais le rapport d'influence est désormais différent : "L'expérience a changé de camp. Après 12 ans passés au gouvernement, j'ai plus oeuvré dans la politique que le roi actuel. La relation en est quelque peu différente de celle que j'avais avec Baudouin" confie le premier ministre en 1995 à Luc Neuckermans et Pol van den Driessche, les auteurs du livre "Albert II sur les traces de Baudouin Ier".

La Belgique assumait la présidence de l'Union Européenne durant le deuxième semestre de 1993. Au cours de sa première année de règne, le roi Albert a ainsi pu rencontrer beaucoup de personnalités importantes. Début septembre, l'empereur Akihito et l'impératrice Michiko du Japon effectuent un voyage d'Etat en Belgique, un mois après y avoir assisté aux funérailles de leur ami le roi Baudouin. Puis, le président du Mexique Carlos Salinas de Gortari vient à Bruxelles inaugurer Europalia Mexique. Au cours de l'automne, Albert II reçoit en audience le président du congrès national sud-africain Nelson Mandela, le leader palestinien Yasser Arafat, le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le président russe Boris Eltsine. Lors du sommet européen de Bruxelles en décembre, le Roi offre un déjeuner au palais royal pour les chefs d'Etat et de gouvernement présents : le président français François Mitterand, le chancelier allemand Helmut Kohl, le premier ministre britannique John Major, le premier ministre espagnol Felipe Gonzales, le président de la Commission Européenne Jacques Delors, le premier ministre français Edouard Balladur, etc.

Dans son premier discours de Noël, le Roi évoque la situation internationale :

"Sur la scène politique internationale, la promotion de la solidarité et de la justice exigera aussi un engagement renforcé de notre part. En Europe, sous la présidence belge, le traité de Maastricht est devenu une réalité qui doit favoriser la construction d'une union économique et monétaire et le développement d'une politique étrangère commune. De plus, le récent conseil européen de Bruxelles a adopté un plan d'action ambitieux pour combattre le chômage.

Mais l'Europe, notre Europe, doit aussi garder son âme faite de la richesse unique de toutes les cultures qui, depuis des siècles, s'y développent. Associer nos forces dans le respect des différences, faire de notre Europe un espace rayonnant et uni où s'allient dynamisme économique, respect de l'autre, justice sociale et paix durable, voilà le superbe défi que notre continent se doit de relever vite. La Belgique, de par sa position géographique centrale, mais aussi par la possibilité qu'elle a, si elle le veut, de montrer à l'Europe que les différences culturelles, vécues harmonieusement, peuvent être source de bien-être et d'idées neuves, peut aider de manière importante cette Europe nouvelle à naître et à tenir, dans le monde du XXIème siècle, le rôle important auquel l'appelle son histoire.

J'ai pu me rendre compte, en m'entretenant récemment avec Nelson Mandela, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, que des progrès substantiels ont été accomplis vers plus de solidarité et de justice dans certaines parties du monde. Le chemin à parcourir reste certes important. Les efforts de tous ceux qui ont surmonté des rivalités et des difficultés anciennes sont toutefois porteurs d'espoir pour de nombreuses régions qui sont malheureusement encore le théâtre de guerres civiles cruelles. Des luttes fratricides se poursuivent dans l'ancienne Yougoslavie (surtout en Bosnie-Herzégovine) et dans plusieurs pays d'Afrique, dont certains nous sont très chers et où la souffrance et la détresse des populations sont immenses.

Je voudrais, à cet égard, rendre un hommage particulier à nos troupes qui ont oeuvré et qui oeuvrent encore pour la paix en ex-Yougoslavie, en Somalie et au Rwanda. Leur présence et leur action humanitaire tant appréciés par la communauté internationale leur donne droit à notre reconnaissance. Partout où nous le pouvons, à l'intérieur de notre pays comme à l'extérieur, engageons-nous pour la défense des plus faibles".

Le chômage est l'un des autres sujets de son discours de Noël 1993 : "Dans la crise économique profonde que notre pays, notre continent et d'autres régions du monde traversent, la lutte pour l'emploi constitue la priorité. En effet, le chômage étendu ne représente pas seulement un grand gaspillage de ressources humaines, il atteint aussi beaucoup d'hommes et de femmes dans leur dignité. Nous ne sortirons pas de cette crise, chez nous et ailleurs, sans faire preuve de solidarité, de justice et de créativité.

Solidarité d'abord, entre ceux qui ont un travail et ceux qui n'en ont pas. Cela implique que l'objectif de l'accroissement du revenu de ceux qui travaillent doit passer à l'arrière-plan au profit de la défense et de la création d'emplois, en particulier pour les jeunes. Cela suppose également que nous tâchions d'innover pour mieux répartir le temps de travail et introduire plus de souplesse dans son organisation.

Justice ensuite, qui implique, entre autres, que chacun réfléchisse sur le fait que payer ses impôts, respecter l'esprit aussi bien que la lettre de la législation fiscale et sociale est également une forme de civisme. La justice exige aussi que nous soyons attentifs à enrayer l'exclusion sociale qui gagne du terrain dans nos grandes villes. Certains de nos concitoyens se trouvent graduellement privés d'une série de biens de base, comme le logement. Certains aussi passent à travers les mailles de nos systèmes de sécurité sociale ou d'enseignement. Nous ne pouvons pas nous résigner devant de telles situations.

Créativité, enfin, pour installer un climat qui suscite la naissance d'activités nouvelles et aiguise, chez les jeunes surtout, le goût d'entreprendre, qui a toujours été une des grandes qualités des femmes et des hommes de notre pays. Il est essentiel, à cet égard, d'investir de manière efficiente dans la recherche scientifique qui, demain, stimulera la création d'activités nouvelles".

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