lundi 19 décembre 2011

Le rôle politique du roi Albert II en 1999

Le Roi consacre son discours de Nouvel An 1999 aux autorités du pays au passage du franc belge à l'euro :

"Il y a près d'un mois, onze des quinze pays de l'Union Européenne ont franchi une nouvelle étape historique dans la construction de l'Europe en adoptant une monnaie unique : l'euro. L'événement est remarquable et constitue l'aboutissement d'une longue aventure, commencée il y a plus de trente ans avec le plan Werner. Ce parcours a connu des hauts et des bas, des moments difficiles, puis des périodes de progrès comme en 1972 lors de la création du serpent monétaire, après l'effondrement du système de Bretton Woods. En 1978, le système monétaire européen a consolidé les progrès réalisés. Quatorze ans plus tard, le traité de Maastricht instaurait une union économique et monétaire et en décembre 1995, le conseil européen de Madrid confirmait le passage à la monnaie unique à la date du 1er janvier 1999.

Tout au long de ce cheminement, notre pays a joué un rôle très constructif, un rôle moteur. Nos premiers ministres, nos ministres des finances et nos gouverneurs de la Banque Nationale, sans oublier le premier président de l'Institut Monétaire Européen, tous ont contribué avec intelligence, imagination et persévérance à la réalisation de ce vaste objectif : la création d'une monnaie commune. Mais il ne suffisait pas de contribuer à l'architecture de ce grand projet, il importait surtout d'y participer dès le début. Au cours de ces dernières années, notre pays s'est efforcé d'atteindre les normes de convergence économique et financière requises pour participer effectivement à l'euro.

Un effort budgétaire remarquable a été réalisé, puisque notre déficit exprimé en % du PIB a été ramené à 1,3 % en 1998, après avoir atteint 12,8 % en 1981. Notre dette, exprimée également en % du PIB, a été réduite substantiellement. Notre inflation est inférieure à 1% et nous avons un surplus important sur notre balance des paiements courants. L'emploi s'est amélioré même si le chômage demeure encore important dans certaines sous-régions. Dans le cadre des lignes directrices européennes pour l'emploi, le récent accord interprofessionnel est avantageux pour notre emploi et pour le maintien de notre compétitivité. Il faut s'en réjouir et il est bon de rappeler ces différentes réalisations, tout comme l'ont fait récemment aussi plusieurs institutions internationales. Cela nous donne confiance pour l'avenir".

Il évoque ensuite l'élargissement de l'Union Européenne : "Pour les nouveaux membres et en particulier ceux de l'Europe centrale et orientale, cet élargissement renforcera leur démocratie nouvelle. Quant à l'Europe, elle évoluera vers une dimension supérieure en comptant à terme plus de 500 millions d'habitants. L'adhésion du citoyen européen à ce projet d'envergure est un défi quasi permanent. Pour lui, l'euro sera sans nul doute une des preuves les plus tangibles de la réalité européenne. Néanmoins, certaines politiques européennes incomplètes provoquent encore trop souvent la méfiance de nos populations. Il appartient donc à tous les niveaux de pouvoir d'expliquer que ce n'est pas la politique poursuivie qu'il faut mettre en cause mais bien la lenteur de sa réalisation intégrale".

Et termine par un nouvel appel au civisme fédéral : "Si nous voulons que les efforts européens de la Belgique restent crédibles, nous aurons à démontrer qu'à l'intérieur même de notre pays, nous pouvons réaliser l'union dans la diversité. Il serait illusoire de nous croire un moteur de la construction européenne et donc de l'entente entre des populations aussi différentes que celles de la Méditerranée et de la Baltique, si nous ne parvenons pas à gérer harmonieusement les différences entre nos régions et communautés, pourtant si voisines. Mes nombreux contacts avec la population m'ont donné la certitude que la toute grande majorité de nos compatriotes veulent cette entente. Pour terminer, j'aimerais souligner que Bruxelles est non seulement la capitale de la Belgique et de nos deux grandes communautés, mais qu'elle est devenue aussi la capitale de l'Europe. C'est une chance unique pour Bruxelles et en fait pour tout notre pays. Saisissons donc cette chance en nous montrant ouverts et accueillants".

Le 7 février 1999, le roi Hussein de Jordanie (63 ans) décède à Amman des suites d'un cancer. Monté sur le trône en 1953, il était très aimé de son peuple et s'était beaucoup impliqué dans le processus de paix au Proche-Orient au cours de ses dernières années. En compagnie de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers, le roi Albert et la reine Paola assistent aux funérailles. Le week-end suivant, la reine Fabiola prend à son tour le chemin de la Jordanie pour présenter ses condoléances à sa veuve la reine Noor. Toutes deux s'étaient engagées ensemble pour la promotion des femmes rurales.

Lors du voyage d'Etat du grand-duc Jean et de la grande-duchesse Joséphine-Charlotte dans notre pays en mars 1999, notre souverain déclare : "Terres d'accueil situées au carrefour des cultures latine et germanique, le grand-duché de Luxembourg et la Belgique sont aussi des démocraties pluriculturelles. Chez vous comme chez nous, la société multiculturelle n'est pas une abstraction. C'est une réalité vécue tous les jours, un dialogue fructueux entre cultures, un effort continu d'intégration qui est requis de tous, ceux établis depuis longtemps et ceux nouvellement installés dans le pays. Avec plus d'un tiers de sa population d'origine étrangère, le grand-duché est bien conscient de la nécessité de promouvoir cette intégration. Il la réalise avec succès. Ce faisant, il fournit la preuve qu'une société pluriculturelle et solidaire représente l'avenir et est à même de garantir le bien-être et la prospérité de tous ses citoyens".

Un mois plus tard, le Roi inaugure à Bruxelles la 101ème Conférence Interparlementaire. Il en profite pour avertir les représentants du monde entier : "Même dans nos démocraties bien établies, nous devons rester vigilants. Les valeurs démocratiques ne sont jamais acquises une fois pour toutes. Gardons bien à l'esprit l'expérience douloureuse des années 30 et rejetons l'intolérance, le racisme et toutes les formes d'extrémisme". Entre les lignes, il se prononce contre les partis d'extrême-droite à quelques semaines des élections régionales, législatives et européennes. Une visite du couple royal au Centre pour l'Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme a également lieu en 1999.

Sur le plan international, Javier Solana, secrétaire général de l'Otan, donne l'ordre au commandant suprême des forces alliées en Europe de lancer des opérations aériennes en ex-Yougoslavie. Le régime de Slobodan Milosevic persécutait depuis plusieurs mois les très nombreux Albanais vivant dans la province du Kosovo et avait quitté les pourparlers de paix à Rambouillet (France). L'Otan - dont fait partie la Belgique - ne pouvait continuer à fermer les yeux...

A l'occasion de la 101ème Conférence Interparlementaire à Bruxelles, le Roi fait, le 11 avril 1999, sa première déclaration sur les événements du Kosovo : "Non loin d'ici, au Kosovo, une horrible épuration ethnique est organisée systématiquement et à grande échelle. Les démocraties ne peuvent tolérer de tels crimes contre l'humanité". Le lendemain, nos souverains assistent au siège de la Croix-Rouge à une réunion d'information sur l'action humanitaire belge en faveur des réfugiés du Kosovo. Accompagnés par le secrétaire d'Etat à la Coopération au Développement Réginald Moreels, ils visitent ensuite le centre logistique, où étaient rassemblés les nombreux dons personnels des Belges pour les réfugiés.

Toute la famille royale se mobilise. Le 20 avril, le Roi reçoit en audience le général Klaus Naumann, président du comité militaire de l'Otan, pendant que la princesse Astrid, présidente nationale de la Croix-Rouge de Belgique, assiste à une réunion sur les événements du Kosovo entre le Bureau Humanitaire de la Commission Européenne et les Sociétés Nationales de la Croix-Rouge des quinze pays de l'U.E. Après son fils aîné, c'est au tour d'Albert II de se rendre le 22 avril à l'état-major général des forces armées pour une réunion de travail sur les opérations militaires belges en cours au Kosovo. Le lendemain, notre souverain est à la caserne de Flawinne pour encourager les 530 soldats belges, qui allaient prendre la direction de Dürres sur l'Adriatique et y effectuer des missions humanitaires. Jan Peeters, le secrétaire d'Etat responsable notamment de l'accueil des réfugiés kosovars en Belgique, est reçu le 27 avril en audience par le Roi. Deux jours plus tard, la reine Paola rencontre les familles des militaires belges participant à l'opération "Allied Force" de l'Otan et basés à Amendola en Italie. Dans l'après-midi du 4 mai, la princesse Astrid s'entretient avec des réfugiés kosovars installés dans les centres de Fraipont et Anvers. Le 6 mai, le prince Philippe se rend à l'aéroport de Melsbroek pour y saluer les militaires qui partaient en Albanie dans le cadre de l'opération "Albalodge".

Lors de son voyage d'Etat en Pologne, Albert II rappelle que "l'Alliance se voit confrontée à une crise grave au Kosovo. Le ferme soutien de la Pologne pour l'effort solidaire des Alliés fut fortement apprécié. En effet, les démocraties ne peuvent tolérer les crimes contre l'humanité inspirés par un nationalisme débridé qui n'a pas sa place sur notre continent".

Le 19 mai, le prince héritier, le ministre de la Défense Jean-Pol Poncelet et le secrétaire d'Etat à la Coopération Réginald Moreels inaugurent le camp construit par des militaires belges à Dürres en Albanie, afin d'y accueillir 2.500 réfugiés du Kosovo. Le Roi souhaitait, lui aussi, soutenir nos soldats engagés dans les opérations de l'Otan et se rend le 27 mai à la base aérienne d'Amendola en Italie. Le 3 juin, Slobodan Milosevic signe le plan de paix proposé par les huit pays les plus industrialisés de la planète. L'Otan arrête ses bombardements sept jours plus tard.

Le conflit du Kosovo est au centre du discours royal de la fête nationale 1999 : "Chacun de nous a pu suivre, grâce aux médias, la tragédie des réfugiés kosovars. Nous gardons à la mémoire ces visages ravagés par la douleur et la fatigue, ces vieillards épuisés et ces jeunes enfants terrorisés, franchissant la frontière de l'Albanie ou de la Macédoine. Des centaines de milliers de personnes persécutées et chassées de chez elles à cause de leur différence ethnique. Nous avons vu les conséquences d'un nationalisme débridé qui rappelle à beaucoup d'entre nous les tragédies de la seconde guerre mondiale. Nous ne pensions pas que de telles atrocités pourraient encore se dérouler sur notre continent, si près de chez nous.

Confrontée à ce drame, la communauté internationale ne pouvait rester passive. Je voudrais évoquer maintenant les réactions de notre pays et de différentes organisations internationales dont nous faisons partie.

Sur le plan militaire, notre force aérienne a participé à l'action de coercition internationale qui a fini par plier le régime de Belgrade. Nous pouvons rendre hommage à nos pilotes qui, chaque jour, risquaient leur vie. Lorsque j'ai été les voir à Amendola, j'ai été frappé par leur sang-froid et leur détermination. Avec le personnel au sol, ils ont formé une équipe efficace qui mérite toute notre admiration. Sur le plan humanitaire, nos forces armées ont aidé et escorté les réfugiés. Elles ont aussi construit des camps pour les accueillir. En évoquant ces différents engagements de nos militaires, je pense également à leurs familles qui restent ici au pays. Elles doivent faire face à une absence parfois longue et surmonter nombre d'appréhensions. Leur contribution peu visible n'en est pas moins indispensable.

Toute notre population a fait preuve d'un remarquable élan de solidarité pour soutenir des personnes complètement démunies. Diverses organisations non gouvernementales comme la Croix-Rouge, Médecins Sans Frontières, Unicef, Caritas, Oxfam, Balkanactie et d'autres furent d'une très grande générosité et efficacité. J'ai eu l'occasionn d'en féliciter certaines, mais je voudrais aujourd'hui rendre publiquement hommage à toutes. Je me dois aussi de rappeler l'action efficace des autorités pour accueillir des réfugiés kosovars dans notre pays.

Enfin, sur le plan diplomatique, la Belgique s'est efforcée de favoriser le retour à la paix. Elle contribue à maintenir cette paix en participant à l'effort international par l'envoi d'un important détachement belge au Kosovo. Dans tous ces domaines, nous pouvons être fiers de notre action. Une bonne partie de nos interventions se sont effectuées au sein de l'Union Européenne et de l'Otan. L'Union Européenne a joué un rôle actif aussi bien sur le plan de l'aide humanitaire que sur le plan diplomatique. L'expérience de ce conflit montrera, je l'espère, d'une part la nécessité d'une politique étrangère commune et d'autre part l'urgence d'une politique de sécurité commune. Dans ces deux domaines, le chemin à parcourir est encore long. L'Otan a fait preuve d'une cohésion et d'une détermination remarquables. Les démocraties unies et décidées peuvent faire battre en retraite ceux qui commettent des crimes contre l'humanité. Ceci est un signal essentiel pour décourager à l'avenir toute tentative d'épuration ethnique et conforter notre devoir d'ingérence humanitaire".

Quelques semaines avant les élections législatives, régionales et européennes du 13 juin 1999, le scandale de la dioxine éclate. Diverses analyses concluent qu'il y a un risque de contamination de certaines farines animales par PCB. De nombreux produits sont retirés provisoirement de la vente. Mais l'affaire prend un tournant politique lorsqu'on apprend que le gouvernement Dehaene II était au courant de ces analyses depuis plusieurs semaines et n'avait rien rendu public. Le ministre de la Santé Publique Marcel Colla (CVP) et le ministre de l'Agriculture Karel Pinxten (CVP) démissionnent le 1er juin. Vu l'approche de la fin de la législature, ils ne sont pas remplacés et leurs compétences sont partagées entre les autres ministres. Afin de s'informer de la situation, le Roi reçoit en juin de nombreuses personnes impliquées dans le domaine agricole.

Les élections se déroulent en pleine "crise des poulets et des oeufs à la dioxine". Aussi n'est-il pas étonnant que les partis de la majorité (CVP, SP, PS et PSC) accusent un net recul au profit d'Ecolo et d'Agalev. Le PRL-FDF-MCC (au sud) et le VLD (au nord) consolident leurs résultats de 1995. L'extrême-droite baisse en Wallonie, se stabilise à Bruxelles, mais devient le troisième parti de Flandre. Les partis issus du mouvement blanc (notamment le PNPB de Paul Marchal) ne recueillent même pas 1% des votes.

Le lendemain, Jean-Luc Dehaene présente au Roi la démission de son gouvernement et lui annonce qu'il renonce à toute fonction ministérielle. Albert II reçoit ensuite les présidents de la Chambre et du Sénat, les vice-premiers ministres et les présidents des partis démocratiques. Le 15 juin, il nomme informateur Louis Michel, le président du PRL-FDF-MCC. Une semaine plus tard, celui-ci apporte au Roi une note d'une vingtaine de pages prônant une coalition des partis libéraux, socialistes et écologistes du nord et du sud du pays.

Albert II nomme ensuite formateur Guy Verhofstadt, le président du VLD, le parti possédant le plus de sièges à la Chambre. Lors de la composition du futur gouvernement fédéral, on sait que le Roi a imposé deux de ses idées. Premièrement, il a mis son veto à la nomination du socialiste Michel Daerden, car il estimait que ses problèmes d'alcoolisme ne donnaient pas une image positive de notre pays. Aussi Michel Daerden a reçu un ministère à la région wallonne, où le souverain n'a rien à dire. Deuxièmement, lors de la campagne électorale, le libéral Louis Michel n'avait pas caché qu'il souhaitait devenir ministre de l'Intérieur et réaliser le grand défi qu'était la réforme des polices. Mais Albert II réussit à le convaincre d'accepter le ministère des Affaires étrangères, où le Roi souhaitait un "gros calibre de la politique" pour redorer l'image de la Belgique à l'étranger.

En juillet, les ministres et secrétaires d'Etat du gouvernement Verhofstadt Ier (VLD, PRL-FDF-MCC, SP, PS, Ecolo et Agalev), ainsi que les ministres-présidents des régions et communautés, prêtent serment devant le Roi dans la rotonde du château de Laeken.

Avant de partir en vacances, Albert et Paola offrent un déjeuner à l'ancien premier ministre et à son épouse Célie. Afin de montrer leur reconnaissance à Jean-Luc Dehaene (qui reçoit le titre de Ministre d'Etat) pour son soutien au début de leur règne, ils sont reçus exceptionnellement au château du Belvédère, leur résidence privée. D'après Christian Laporte (auteur d' "Albert II, premier roi fédéral" en 2003), le Roi aurait insisté en vain auprès du nouveau gouvernement pour obtenir une "récompense" (le poste de commissaire européen) pour Jean-Luc Dehaene.

Dans son discours de la fête nationale 1999, il évoque la crise de la dioxine : "Ces événements ont démontré une nouvelle fois combien il est nécessaire de moderniser et de gérer efficacement les différents services de l'Etat. Je sais que cette exigence constitue une priorité pour le gouvernement. Le secteur public doit être au service de la population. Sa véritable raison d'être, c'est de rendre aux citoyens les services qu'ils sont en droit d'en attendre, notamment dans les domaines de la sécurité des personnes et de la santé publique. Combattons donc résolument les dysfonctionnements partout où ils se présentent. La population demande avant tout que chaque niveau de pouvoir exerce efficacement les compétences qui sont les siennes. Introduisons dès lors dans les services publics la notion de qualité intégrale. Dans le secteur privé, la lutte pour rester compétitif est souvent ardue. Veillons néanmoins à ce qu'elle ne se réalise jamais aux dépens de la sécurité du travail, ni de la qualité de la vie ou de l'environnement. Enfin, c'est l'image même de la Belgique à l'étranger que nous devons tous ensemble nous efforcer de rétablir".

A l'occasion de son 65ème anniversaire en 1999, la Fondation Roi Baudouin laisse carte blanche au souverain pour choisir le thème et les objectifs d'un de ses programmes. Il exprime le voeu que la Fondation entreprenne une action en vue de soutenir l'enseignement professionnel, la formation en alternance et l'enseignement des classes moyennes. Cette action est intitulée "Un pas de plus". Le 1er février 2000, en l'absence d'Albert II en convalescence, la reine Paola et les autres membres de la famille royale assistent au Heysel au spectacle consacré à la réalisation de cette action et visitent les stands de présentation de la centaine de projets choisis et soutenus par la Fondation Roi Baudouin.

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