lundi 13 février 2012

Le rôle politique du roi Albert II en 2002

En janvier, le Roi nomme 10 nouveaux ministres d'Etat : Elio Di Rupo, Freddy Willockx, Raymond Langendries, Miet Smet, Patrick Dewael, Roger Lallemand, Jos Geysels, Karel De Gucht, Daniel Ducarme et Jacky Morael. Quelques jours plus tard, il dresse le bilan de la présidence belge de l'Union Européenne dans son discours de Nouvel An aux autorités du pays, et en profite pour rappeler :

"A Laeken, les dirigeants européens ont affirmé l'importance d'unir nos forces. Ce message vaut aussi pour notre pays. Si la Belgique, pendant six mois, a pu inspirer l'Europe, l'Europe peut, elle aussi, nous stimuler dans notre propre effort vers plus d'unité et de solidarité. Nous devons être logiques avec nous-mêmes et agir dans la même perspective aussi bien sur le plan national qu'international. Soyons des artisans de paix et d'union à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières".

Deux ans après sa première visite, le Roi se rend une seconde fois à Namur en avril 2002 pour participer avec le gouvernement wallon et des représentants du monde socio-économique à une réunion de travail sur le Cawa, la version actualisée du Contrat d'Avenir pour la Wallonie. Le ministre-président Jean-Claude Van Cauwenberghe qualifie la visite royale de "moment extrêmement important sur le plan symbolique". Albert II rencontre ensuite des députés, des syndicalistes et des patrons de la région.

Contrairement aux premières années de règne du roi Albert, la législature 1999-2003 est marquée par une diminution des problèmes communautaires et une meilleure collaboration entre les composantes de l'Etat fédéral. Avec l'aide de la famille royale, le monde politique avait fait taire les divisions pour redorer l'image du pays à l'étranger après les scandales Agusta, Dutroux et dioxine. Les occasions ne manquèrent pas : l'Euro 2000, le mariage des princes Philippe et Laurent, Bruxelles capitale culturelle européenne en 2000, la présidence belge de l'Union Européenne en 2001, le 500ème anniversaire de la naissance de Charles-Quint, p.ex. C'est pour cette raison que le Roi évoqua moins la cohésion du pays dans ses discours.

En 2002, Albert II signe la loi dépénalisant l'euthanasie, douze ans après le refus de son frère sur l'avortement. A-t-il hésité? Oui. Dès 1994-1995, le Palais tente de trouver une solution juridique aux futurs cas de conscience du souverain, mais cela n'a pas abouti.

Premier ministre à cette époque, Jean-Luc Dehaene confia plus tard aux journalistes Martin Buxant et Steven Samyn pour leur livre "Belgique, un roi sans pays" : "Au début de son règne, Albert était véritablement obsédé par l'exemple de son frère. Il y avait à cette époque quelques propositions de lois, entre autres sur l'euthanasie, en cours de discussion. On pouvait facilement supposer que ces propositions allaient tôt ou tard arriver sur la table. Le Roi a exprimé ses préoccupations par rapport à cela. Sans que je puisse dire à quel moment, il a aussi dit qu'il ne signerait pas, si on le lui permettait. Et il a demandé s'il était possible de trouver des solutions alternatives. Il n'y avait aucune opposition du Palais pour revoir à la baisse le rôle du Roi, et le laisser évoluer en direction du modèle de la monarchie suédoise. C'est quelque chose que le Roi a demandé lui-même afin d'éviter d'avoir à se retrouver dans la même position que son frère durant la crise de l'avortement".

Les partis sociaux-chrétiens dans l'opposition, le gouvernement Verhofstadt veut faire voter une loi sur l'euthanasie, et fait clairement savoir au Roi qu'il ne le couvrirait pas s'il refusait de signer. Aussi il accepte et n'aurait aucun regret à ce sujet. Il a ensuite également signé la loi sur le mariage homosexuel.

Le roi Albert et le président de la république fédérale allemande Johannes Rau assistent le 7 juin 2002 à Spich à une cérémonie marquant symboliquement la fin de plus d'un demi-siècle de présence militaire belge en Allemagne. En mai 2000, notre gouvernement avait décidé de rapatrier les derniers éléments des Forces Belges en Allemagne, qui comptaient encore alors dans la région de Cologne 2.100 militaires et 5.000 civils. Notre souverain déclara notamment : "Une page importante de l'histoire de mon pays et de ses forces armées est tournée aujourd'hui. En effet, cette cérémonie marque la fin de plus d'un demi-siècle de présence militaire belge en Allemagne. Ce départ ne signifie pas la fin du travail en commun de nos forces armées. Nos pays sont maintenant engagés dans la construction nécessaire d'une véritable défense européenne".

Lors de la fête nationale, Albert consacre l'intégralité de son allocution télévisée à la montée de l'extrême-droite et se prononce, une nouvelle fois, contre le racisme :

"Depuis quelques temps, nous voyons ressurgir en Europe certaines formes d'extrémisme. Et pourtant, après avoir subi les conséquences désastreuses de l'intolérance croissante des années 30, nous avions pensé être définitivement libérés de ce fléau. Quelle doit être notre réaction face à cette situation? Je ne prétends pas donner ici une réponse exhaustive à cette question, mais j'aimerais esquisser trois pistes : la nécessité d'une politique de proximité, l'importance de la sécurité dans ses multiples aspects et la lutte contre la peur de l'autre.

Premièrement : la politique de proximité.

L'action publique se doit aujourd'hui d'être très attentive à cette dimension. En effet, nous vivons dans un monde qui évolue rapidement dans tous les domaines. Les situations peuvent se renverser très vite et provoquer à court terme la marginalisation ou l'exclusion. Par ailleurs, notre société individualiste fait souvent naître un sentiment de solitude d'autant plus pénible que le climat général est propice à l'indifférence et au repli sur soi.

Enfin, certains craignent que leurs problèmes quotidiens soient négligés : qu'il s'agisse de leur emploi, de la sécurité de leur famille, de la propreté de leur quartier ou de la qualité de l'école.

Toutes ces situations peuvent inciter à chercher refuge dans les slogans trompeurs de l'extrémisme. La proximité permet de saisir ces difficultés à leur naissance et de barrer ainsi la route à des sentiments de découragement et d'impuissance. Il est donc essentiel de stimuler à nouveau le dialogue direct avec le citoyen. Notre démocratie communale, par exemple, devrait nous permettre d'être très proches des habitants et plus attentifs encore à leurs inquiétudes comme à leurs aspirations concrètes.

Deuxièmement : la sécurité.

En soulevant le problème de la sécurité des personnes et des biens, il ne s'agit évidemment pas de contribuer à la psychose d'insécurité que les extrémistes cherchent à répandre. Mais il ne faut pas cacher non plus les problèmes réels que l'on rencontre dans beaucoup de grandes villes européennes. Je comprends le désarroi de ceux et de celles qui ont subi une agression et qui en gardent longtemps des séquelles.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire en juillet 1994, un des premiers droits du citoyen est de pouvoir vivre en sécurité. Chacun doit pouvoir circuler sans crainte dans nos rues ou nos métros. Je me réjouis de ce que des actions aient déjà été entreprises pour combattre l'insécurité. La sécurité est donc un élément majeur de la qualité de vie de chaque citoyen.

Assurer plus de sécurité passe d'abord par la prévention. En développant les idéaux de solidarité et de tolérance, la famille et l'école ont une mission fondamentale pour éviter la montée de la violence. Par ailleurs, la présence plus visible et plus intensive des forces de l'ordre dans nos rues, sur nos places publiques et dans les transports publics découragera indiscutablement la délinquance.

Mais si la prévention échoue, la justice doit être en mesure d'agir efficacement et rapidement. Lorsque des jeunes sont en cause, il faut appliquer des mesures éducatives et répressives appropriées. Enfin, les victimes de la violence, qui se sentent trop souvent abandonnées, ont droit à plus d'attention et de soutien.

Troisièmement : la peur de l'autre.

La peur de l'autre est un sentiment qui engendre le racisme. Les extrémistes cultivent volontiers cette peur en répandant quantité d'amalgames mensongers. Ces derniers mois, nous avons vécu chez nous les tristes effets de ce phénomène. Un couple marocain en a été la victime et a perdu la vie. D'autres communautés ne furent pas épargnées non plus, comme en témoignent les attentats contre des synagogues. Il est inadmissible de chercher à importer chez nous les antagonismes qui existent au Moyen-Orient.

Comment lutter contre de telles pratiques? Ici, de nouveau, la famille et l'école sont d'une importance capitale, car c'est là, en premier lieu, que se pratiquent le dialogue et la compréhension mutuelle. La promotion des échanges entre cultures différentes nous fera également mieux apprécier les extraordinaires richesses que recèle la diversité. Enfin, la justice, elle aussi, se doit de faire son travail efficacement en réprimant toutes les formes de racisme. Elles n'ont pas leur place dans notre société.

Les valeurs démocratiques, je voudrais le signaler encore, même si elles sont fortement ancrées dans notre pays, ne doivent jamais être considérées comme établies une fois pour toutes. Je souhaite, pour conclure, que chez nous, une culture de fraternité, de tolérance et de compréhension de l'autre puisse se développer harmonieusement".

A leur retour de vacances, le Roi et la Reine passent des paroles aux actes en se rendant début septembre une journée dans les quartiers immigrés de Schaerbeek et Saint-Josse. Même accueil triomphal un an plus tard à Molenbeek-Saint-Jean. Au cours de l'année 2002, Albert reçoit en audience Johan Leman, directeur du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, et Stephen Schewebach, directeur général de l'Office des Etrangers. Par contre, aucun élu d'extrême-droite n'est jamais invité au palais royal.

A partir de novembre 2002, le couple royal décide de soutenir le commerce équitable. A leur demande, le café servi quotidiennement au palais royal est désormais frappé du label Max Havelaar. C'est la société Rombouts (fournisseur officiel de la Cour) qui toréfie ce café répondant à tous les critères internationaux du commerce équitable : prix couvrant au minimum les coûts de production, cahier de charges en matière environnementale, respect des droits des travailleurs, etc. Le Roi se rend personnellement, en janvier 2003, à Aartselaar pour découvrir la société Rombouts et assister à une réunion de travail sur le commerce équitable.

Depuis le début de son règne, Albert II n'avait pas connu de fièvres républicaines, excepté l'extrême-droite. Mais en novembre 2002, le VLD (1er parti politique en Flandre) et Ecolo (3ème parti politique en Wallonie) proposent en congrès de diminuer, voire supprimer les pouvoirs du souverain au cours de la législature 2003-2007. Vu les très nombreuses critiques, ces deux partis tentent ensuite de faire marche arrière en assurant que ce n'était pas un dossier prioritaire.

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