mardi 19 février 2013

Le rôle politique du roi Albert II en 2010

Dans son discours de Nouvel An 2010 aux autorités du pays, le Roi déclare :  "J'aimerais vous parler d'un sujet particulier : il s'agit des qualités qui sont attribuées aux Belges, et comment faire pour assurer la persistance de ces qualités. Plusieurs événements récents touchant des compatriotes qui oeuvrent dans des domaines bien différents m'ont impressionné. Il y eut la désignation du premier président permanent du Conseil Européen, le retour de notre astronaute après une mission de six mois dans l'espace, le renouvellement du mandat du président du Comité Olympique International, le lancement d'initiatives nouvelles par le président de la Banque Européenne d'Investissement, la désignation du procureur du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, et les performances internationales de nos artistes et de nos sportifs de top niveau.

Ces remarquables consécrations publiques de personnalités belges ne doivent pas nous faire oublier des réalisations de grande qualité accomplies collectivement par des Belges. Songeons à nos militaires à l'étranger qui se distinguent par l'excellence de leurs interventions dans beaucoup de domaines et dans de multiples régions du monde, à l'équipe qui a développé une nouvelle station polaire belge, à nos scientifiques, à nos centres de recherche performants dans nombre de disciplines, et aux organisateurs d'événements culturels internationaux comme le Concours Musical Reine Elisabeth ou le festival Europalia.

A chaque fois, le monde extérieur a souligné un nombre de qualités qui seraient spécifiques des Belges : il y a notre ouverture aux autres cultures, notre créativité pour trouver des compromis, notre pragmatisme, une certaine modestie et notre faculté de ne pas nous prendre trop au sérieux. Beaucoup de ces qualités sont liées au caractère multiculturel de notre pays et au fait que nous nous trouvons aux frontières de deux grandes cultures européennes, le monde latin et le monde germanique. L'influence de ces cultures différentes nous procure l'avantage d'acquérir une disposition d'accueil et de compréhension des autres, de nous adapter avec pragmatisme à des situations diverses, voire les plus inattendues ou même surréalistes. Assurer la permanence de ces qualités chez nos concitoyens se fera en maintenant et en renforçant les échanges au sein de notre propre pays tout comme sur le plan international.

Se rencontrer, se parler, crée des relations, ouvre des perspectives dont on ne soupçonne pas toujours a priori les conséquences bénéfiques. C'est un extraordinaire moyen d'habituer nos jeunes aux contacts avec d'autres cultures, de les préparer à réconcilier des points de vue différents. Concrètement, cela implique, entre autres, de stimuler l'apprentissage de nos trois langues nationales, mais aussi de l'anglais et d'autres langues. Etre multilingue est un atout énorme et une qualité très appréciée dans la vie professionnelle. Le nombre des investisseurs étrangers dans notre pays en témoigne. Il est nécessaire aussi d'inciter davantage encore les jeunes à suivre des formations et des stages à l'étranger, que ce soit à travers les programmes Erasmus, ou par l'intermédiaire du Fonds Prince Albert qui envoie des jeunes acquérir de l'expérience dans des entreprises belges à l'étranger. J'ai reçu les lauréats de ce Fonds à l'occasion de nos 50 ans de mariage et j'ai été impressionné par leur ouverture d'esprit et leur enthousiasme.

Comme je viens de le dire, il importe bien sûr de développer les échanges au sein de notre propre pays, notamment entre écoles secondaires, hautes écoles ou universités de nos communautés. C'est l'objectif principal du Fonds Prince Philippe qui chaque année permet à de très nombreux jeunes de mieux connaître une autre région ou une autre culture de notre pas. Il est précieux aussi que nos universités poursuivent et renforcent leurs échanges avec une ou plusieurs universités d'une autre communauté. Il en est de même pour la collaboration entre chercheurs. Lors d'une récente visite à un pôle d'attraction universitaire, j'ai été saisi de voir combien la collaboration entre nos meilleurs scientifiques de communautés différentes était fructueuse et conduisait à des résultats concrets de grande valeur.

C'est également le cas dans le domaine culturel. J'ai vu avec grand intérêt combien, à Bruxelles, les principaux artistes et les institutions culturelles liées aux différentes communautés collaboraient efficacement et avec facilité. Dans le monde politique, les contacts entre responsables issus de nos communautés doivent également se renforcer. On a pu constater, encore récemment, combien il était précieux d'avoir des hommes politiques qui puissent jouer le rôle de médiateur dans certaines situations. Pour cela, il leur faut, bien entendu, connaître chaque communauté, chaque région. Enfin, valorisons pleinement le rôle central de notre pays en Europe. Bruxelles, capitale de l'Europe, est un atout considérable pour l'ensemble de notre pays, que ce soit sur le plan économique, culturel ou politique. Utilisons cette chance que l'histoire et la géographie nous ont offerte.

Pour conclure, je crois que c'est en accentuant ou en rétablissant toutes ces relations dans les différents domaines que nous maintiendrons et développerons les qualités qui nous sont attribuées internationalement. Nous le ferons évidemment dans le respect de l'identité propre de chaque communauté, de chaque région, et dans un esprit de loyauté fédérale".

Le 30 juin 2010, Albert et Paola sont les invités d'honneur du président Joseph Kabila lors de la cérémonie organisée pour le cinquantième anniversaire de l'indépendance du Congo. Au cours de son séjour, le couple royal effectue quelques visites sociales et économiques liées à notre pays, rencontre le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon, mais ne prononce aucun discours afin de ne pas créer des tensions dans les relations belgo-congolaises qui sont parfois tendues. Une polémique survient cependant après leur retour en Belgique lorsque la presse révèle que Mme Kabila a offert une parure de diamants à la reine Paola. Ce coûteux cadeau contraste avec la pauvreté des Congolais. Aussi le Palais annonce que les bijoux ont été remis à la Donation Royale. Lors de la fête nationale 2010, Albert confiera dans son discours :  "Nous avons pu proposer aux autorités congolaises un nouveau partenariat, franc et constructif, axé sur les besoins de la population congolaise et soutenant les nouvelles institutions que le Congo s'est donnés démocratiquement. Notre vif espoir est qu'un tel partenariat entre nos pays puisse contribuer à consolider la paix en Afrique centrale qui a tellement souffert. Cette paix est aussi vitale pour l'indispensable développement économique et social auquel notre pays est prêt à collaborer activement".

Revenons en Belgique... Une nouvelle crise politique survient en avril 2010. Sous l'impulsion de son jeune président Alexander De Croo, le VLD quitte la majorité suite à l'absence d'accord sur Bruxelles-Hal-Vilvorde au terme de la mission de Jean-Luc Dehaene. Yves Leterme remet la démission de son gouvernement au Roi qui la tient en suspens et explique sa décision dans le communiqué publié par le Palais :   "Le Roi et le premier ministre ont souligné combien, dans les circonstances actuelles, une crise politique serait inopportune et porterait un grave préjudice d'une part au bien-être économique et social des citoyens et d'autre part au rôle de la Belgique sur le plan européen". Après avoir rencontré les présidents de la Chambre, du Sénat et des partis démocratiques, les partenaires sociaux, Albert II charge Didier Reynders, vice-premier ministre et président du MR,  "de s'assurer dans très court délai de ce que les conditions sont remplies pour la reprise rapide des négociations sur des problèmes institutionnels et en particulier celui de Bruxelles-Hal-Vilvorde" , selon les termes du communiqué diffusé par le Palais. Mais la confiance est rompue entre les partis de la majorité et les négociations ne reprennent pas. Après avoir à nouveau reçu en audience les présidents de partis, Albert II accepte la démission du gouvernement. Les Chambres sont dissoutes.

Les élections fédérales ont lieu le 13 juin. Le Parti Socialiste est le grand vainqueur en Wallonie tandis que la NVA devient le premier parti de Flandre. L'extrême-droite continue de baisser :  le Vlaams Belang perd 5 sièges à la Chambre et le Front National n'a plus aucun sénateur et député fédéral. Après trois jours de consultation, le Roi nomme informateur Bart De Wever, le président de la NVA. Le 8 juillet, il demande à être déchargé de sa mission sans avoir obtenu d'accord. Le même jour, Elio Di Rupo, le président du PS, est nommé pré-formateur par Albert II.

Dans son discours de la fête nationale 2010, le Roi évoque brièvement la situation politique :  "Notre pays a été secoué par des tensions communautaires qui ont conduit à des élections anticipées et qui causèrent d'importants glissements politiques. A présent, ce qui importe, c'est de se tourner vers l'avenir. Il y a donc lieu de préparer pour nos régions et communautés de nouvelles formes de vie commune où chacun se sent bien, de résoudre les questions épineuses qui ont divisé, et de trouver de nouveaux équilibres entre le fédéral et les entités fédérées".

Le 18 août, Elio Di Rupo fait part au Roi des progrès obtenus et des difficultés à surmonter. Albert II décide de rencontrer les présidents des sept partis participant aux négociations. Le ministre d'Etat Louis Tobback confie à la presse :   "Je suis et reste un républicain. Mais dans de telles circonstances, la monarchie montre toute son utilité. Tous les politiciens qui réclament un rôle protocolaire pour la monarchie depuis des décennies doivent maintenant examiner la situation. Le Roi est très respecté. Lorsqu'il parle, il est écouté".  Les négociations reprennent le 21 août.

Une semaine plus tard, le projet de compromis de la réforme de l'Etat proposé par Elio Di Rupo est accepté par cinq partis (PS, SPA, CDH, Ecolo et Groen), mais n'obtient pas le soutien de la NVA et du CD&V. La famille libérale n'a pas été conviée aux discussions. Le pré-formateur demande à Albert II d'être déchargé de sa mission. Celui-ci refuse et lui demande de faire un nouvel essai qui n'aboutit pas à un accord. Aussi après avoir à nouveau reçu en audience les présidents des sept partis, le Roi demande, le 4 septembre, aux présidents de la Chambre André Flahaut (PS) et du Sénat Danny Pieters (NVA) un travail de médiation sur les désaccords rencontrés par le pré-formateur. Pas de résultat. Même mission pour le président de la NVA Bart De Wever le 8 octobre. Pas de résultat. Et pour le ministre d'Etat Johan Vande Lanotte le 21 octobre.

En novembre, le président du PS Elio Di Rupo parle pour la première fois d'Albert II depuis les élections :  "J'ai toujours trouvé que le Roi avait une maîtrise totale de la situation. C'est la personnalité qui connaît le mieux la situation du pays. Il agit dans l'intérêt du pays. Celles et ceux qui pensent que le Roi peut être influencé se trompent. Personne ne l'influence. Il sait où il va. Il compose avec la réalité du pays, très différente au nord et au sud".  Cet avis n'est pas partagé par le président de la NVA Bart De Wever qui déclare en décembre :  "Le problème, c'est que le Roi joue encore un rôle politique. Quand il y a une crise, le rôle du Roi est important. Pour nous, Flamands, cela pose un problème parce que le Roi ne pense pas comme nous. Pour les Wallons, c'est un avantage car ils sont alliés avec lui".

Dans son discours télévisé de Noël, Albert II évoque la réussite de la présidence belge de l'Union Européenne, puis la crise politique :   "Cet art du compromis, il me semble qu'au sein de notre propre pays, nous l'avons quelque peu oublié ces dernières années. D'où ma préoccupation et ma ferme volonté de lancer un appel à tous nos responsables et à tous les citoyens.

Notre pays a l'occasion de se transformer en profondeur pour mieux répondre aux attentes de nombreux Belges, et pour affronter les défis à venir. Désormais, après plus de six mois de négociations, tous les éléments sont sur la table pour réaliser une profonde réforme de l'Etat. Il y aurait un important transfert de compétences aux régions et communautés, une autonomie et une responsabilisation beaucoup plus poussées des entités fédérées, y compris sur le plan fiscal, un refinancement de Bruxelles et le maintien d'une réelle solidarité au sein de notre pays. En même temps, il sera nécessaire d'assurer le financement dans la durée de l'Etat fédéral pour exercer les compétences et les obligations qu'il continuera à assumer vis-à-vis de tous les Belges, mais aussi sur le plan européen et dans le monde. Il faudra également inclure une solution pour Bruxelles-Hal-Vilvorde et définir des règles en matière d'éthique politique.

Il s'agit donc de trouver des compromis équilibrés qui tiennent compte des aspirations légitimes des uns et des autres. Dans un tel accord, il ne doit pas avoir de perdants. Nous devons trouver des solutions où chacun est gagnant. Dans la recherche de cet accord raisonnable, il est évident que chaque partie devra faire des concessions. Chacun aura donc l'obligation de prendre ses responsabilités. Le moment est venu où le vrai courage consiste à chercher fermement le compromis qui rassemble, et non à exacerber les oppositions.

Si un tel accord se réalise, un nouveau gouvernement fédéral pourrait être constitué. Avec les entités fédérées, il sera à même de prendre des mesures nécessaires pour sauvegarder le bien-être de la population et pour rétablir la confiance au sein du pays. C'est cela que tous nos concitoyens attendent. Lorsque nous réussirons, car je suis convaincu que nous le pouvons, nous redeviendrons à nouveau un exemple d'entente et un facteur d'unité dans un monde qui en a grandement besoin. Nous pourrons présenter l'image juste d'un pays qui parvient dans la paix, à se transformer profondément. Nos partenaires européens, et tous les autres pays, constateront que la Belgique demeure un Etat responsable auxquels ils peuvent faire confiance. Cet appel que je vous lance solennellement à tous, je l'adresse évidemment en premier lieu aux responsables politiques, mais aussi aux responsables économiques, sociaux, culturels et des médias. Tous, par nos actions et par notre comportement, nous devons avoir le courage d'être des artisans de paix".

1 commentaire :

  1. Ce fut un plaisir, comme toujours, de lire cette analyse complète et très intéressante du rôle si difficile et digne d'un équilibriste du monarque belge, comme il est difficile d'être roi des Belges, la fonction est de plus en plus ingrate, et demande beaucoup d'abnégation.
    Cependant les qualités du Roi ont produit leurs effets positifs, sans doute qu'il est plus difficile pour lui de gérer sa propre famille que la Belgique et ses problèmes si complexes...

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