mercredi 16 juillet 2014

Interview de l'historien Damien Bilteryst

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"D'où vous vient votre intérêt pour les têtes couronnées, et en particulier celles du XIXème siècle?
- A vrai dire, cet intérêt est tellement ancré en moi qu'il m'est impossible d'expliquer ses origines ; c'est une évidence, elle est là. La période que je préfère va de la fin du XVIIIème siècle jusqu'à 1914. Cet intérêt n'est pas seulement lié aux royautés, il concerne plusieurs aspects, et notamment l'architecture. Tout ce qui a été bâti entre disons 1760 et 1880 est séduisant et les personnes, les princes qui vivaient dans ces demeures suscitent l'intérêt.

- Comment avez-vous procédé pour les recherches? Lequel des deux livres a été le plus facile à écrire?
- Les recherches ont naturellement débuté aux archives du palais royal de Bruxelles. Là sont conservés deux fonds justement dénommés "Comte de Flandre" et "Comtesse de Flandre". Ils incluent une grande variété de documents qui permettent de côtoyer au plus près l'univers des Flandre :  des milliers de lettres privées, des cahiers scolaires, des photographies,... Bien entendu, j'ai aussi consulté d'autres fonds d'archives au palais :  le célèbre fonds Goffinet, les archives du Grand Maréchalat de la Cour, des dossiers du cabinet du roi Léopold II, du secrétariat du prince Albert, les fonds Conway, d'Hulst, Mexique, les archives de la reine Louise, ... Ensuite, au Musée de l'Armée, il y a l'incontournable fonds Wilmet :  6.660 pages de documents retranscrits comprenant de la correspondance privée aujourd'hui détruite ou dispersée suite à des ventes et des témoignages recueillis dans les années 30 auprès des princesses Henriette et Joséphine, de serviteurs, de proches des Flandre. Je m'en voudrais d'oublier les dossiers d'officiers, les archives de l'Ecole Militaire et les lettres en mains privées. Des documents inédits constituant autant de sources premières passionnantes à analyser. Je n'ai pas trouvé l'un des deux livres plus difficile à écrire, j'ai pris autant de plaisir lors de l'écriture des deux biographies!

- On a souvent décrit le foyer des comtes de Flandre comme plus bourgeois que royal, mais vous démontrez dans vos livres que ce n'était pas tout à fait la réalité?
- Oui, cette épithète "bourgeoise" est une erreur d'appréciation due à la plume de Martin Schweisthal, le dernier bibliothécaire du comte de Flandre. Depuis elle a fait flores, sans tenir aucun compte de la réalité. Le comte de Flandre est l'une des premières fortunes du royaume, il possède nombre de domaines à l'étranger, vit dans le luxe le plus absolu et voyage dans l'Europe entière. Ses goûts sont ceux d'un aristocrate de très haute naissance. Je ne vois donc rien de comparable avec la bourgeoisie de l'époque...

- Autre légende :  les comtes de Flandre étaient présentés comme un couple très uni par opposition aux souverains qui vivaient séparés. Or, vous dévoilez un grand scoop à ce sujet. Comment est-ce possible que cette relation extraconjugale ait pu rester secrète pendant plus d'un siècle?
- Philippe mène exactement le même genre de vie que celui de son frère Léopold II. Son entourage ne peut l'ignorer, les milieux proches des Flandre non plus. Cependant, au moment où la presse antimonarchique commence à s'intéresser à la vie sentimentale des princes, vers 1902-1903, le comte de Flandre est à la fin de sa vie et a retrouvé une existence moins sujette aux commérages.

- S'il était connu que Maximilien et Charlotte ne formaient pas un couple uni, vous avez trouvé une lettre du prince Philippe qui donne clairement son point de vue sur le mariage de sa sœur. N'est-ce pas la première fois qu'on en parle de façon si directe?
- Nous n'allons bien sûr pas dévoiler le contenu de cette lettre de Philippe (intégralement reproduite dans la biographie) que j'ai lue avec la stupéfaction que vous imaginez. Ce témoignage de première main apporte en effet un nouvel éclairage sans ambiguïté sur la situation conjugale de Maximilien et Charlotte....

- Dans votre biographie du prince Baudouin, vous démontez les nombreuses thèses fantaisistes qui ont circulé sur sa mort. Tout cela aurait pu être évité avec une meilleure communication de la famille royale, et on ne peut s'empêcher de penser que c'est toujours d'actualité plus d'un siècle plus tard?
- On connaît Léopold II comme bâtisseur, colonisateur, visionnaire mais il est également un excellent "communiquant" si toutefois on se permet cet anachronisme. Or, dans les jours qui ont précédé la mort de Baudouin, le Roi n'a pas mesuré l'impact que le manque d'informations aurait auprès du public... Pour ce qui est de l'époque actuelle, je dirais simplement que tout en reconnaissant le rôle nécessaire de la communication, je trouve qu'il est surestimé en règle générale. Si ce qui est mis en scène ne correspond pas à la réalité, on tombe dans la fausseté, éphémère par essence.

- On pourrait aussi rapprocher le débat sur la dotation et le rôle du comte de Flandre avec deux autres cadets (le prince-régent Charles et le prince Laurent)?
- On pourrait parler de situation récurrente au sein de la dynastie et aborder le thème de la place peu enviable du second fils. Or, à y voir de plus près, les situations sont très différentes. Le comte de Flandre bataillait pour ne plus recevoir de dotation et second fils, il était le préféré de son père, vous voyez que les données diffèrent... Pour ce qui est de la relation entre le roi Albert II et son frère aîné le roi Baudouin, elle est exemplaire comme l'était d'ailleurs celle entre le futur roi Albert I et son frère le prince Baudouin.... Le roi Albert II a d'ailleurs évoqué récemment cette coïncidence entre les deux prénoms. C'est plutôt cette répétition qui me frappe.

- Autre thème toujours d'actualité :  les problèmes linguistiques. Vous en parlez beaucoup dans votre livre sur le prince Baudouin et son premier discours en néerlandais, mais quelle était la position de son père le comte de Flandre à ce sujet?
- Le discours prononcé par le prince Baudouin en néerlandais lors des fêtes de Bruges en 1887 est un excellent exemple de la communication intelligente du roi Léopold II dont je parlais tout à l'heure. Quant à l'opinion du comte de Flandre, elle était voisine d'un désintérêt total sur la question linguistique...

- Qu'est devenue la bibliothèque réputée du prince Philippe? Si ses diverses propriétés ont été vendues par ses héritiers, seule la villa d'Halishorn est restée dans la famille royale?
- Cette bibliothèque était une propriété privée :  elle a subi un sort similaire à celui des héritages privés : partages, ventes,...  La villa de Halishorn, achetée quelques années avant la mort du comte de Flandre, devait permettre d'offrir un lieu de villégiature qui remplacerait les séjours aux Amerois où Philippe ne se plaisait guère. Elle a en effet été conservée par la famille royale belge durant plusieurs décennies.

- On a souvent écrit que la comtesse de Flandre avait voulu privilégier son petit-fils Charles, le nouveau comte de Flandre, mais il s'avère que ce ne fut pas le cas après son décès. Était-ce une rumeur ou avez-vous trouvé des informations à ce sujet?
- J'ai, en effet, lu dans le fonds Wilmet que la comtesse de Flandre souhaitait qu'un jour, les Amerois deviennent la propriété de son petit-fils Charles. Pour le reste de l'héritage, elle n'a exprimé, à ma connaissance, aucun souhait de privilégier quiconque.

- Lors de vos recherches dans les archives, quels sont les personnages, les sujets, les périodes de l'histoire de notre dynastie qui ont été oubliés par les historiens et mériteraient de futures recherches? Avez-vous des projets personnels?
- Il y a encore beaucoup à dire sur la dynastie belge. J'ai à l'esprit plusieurs idées, mais aucune d'elle ne s'impose encore de manière évidente. Je sais en revanche que le prochain livre sera dans la lignée des premiers et me permettra de faire découvrir des aspects méconnus de la famille royale.

- Dans quelques jours, il y aura un an que le roi Philippe (qui porte le prénom de son arrière-arrière-grand-père) est monté sur le trône. Quel regard portez-vous sur cette première année de règne?
- Je porte un regard très positif sur cette première année de règne. Au moment où le prince Philippe a prêté le serment constitutionnel, il est devenu le Roi dans toute l'acceptation du terme. Cela ne m'a d'ailleurs guère surpris!".

2 commentaires :

  1. Merci pour cette intéressante interview !

    L'ayant lue, je ne peux que recommander cette excellente biographie comme c'était déjà le cas pour la précédente sur le prince Baudouin.

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  2. Hors sujet Petit Belge, mais c'est aujourd'hui le 31 juillet et j'ai une pensée émue pour le Roi Baudouin !
    Florence

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