lundi 8 juin 2020

Pour ou contre le maintien des statues du roi Léopold II ?

                                Afficher l’image source


Ce débat revient régulièrement à la "une" de l'actualité :  doit-on enlever ou laisser les statues de Léopold II (et toutes les autres traces de notre passé colonial) dans l'espace public ?  J'ai lu les arguments de chacun, et je regrette que de part et d'autre, on manque de recul et de nuances. Cette phrase relevée dans la presse mérite aussi réflexion :   "Nous devons nous différencier de la rage iconoclaste des barbares de Daech".

Afin de faire votre propre avis, je vous conseille la lecture de deux ouvrages objectifs et intéressants sur le roi Léopold II :



Je rejoins aussi l'avis nuancé du professeur Vincent Dujardin qui a répondu début juin aux questions des quotidiens du groupe "L'Avenir" :

"Vous êtes historien à l'UCLouvain. Selon vous, que doit-on faire de ces statues dans l'espace public? Faut-il sacrifier toute trace de notre passé polémique?
- Faire table rase du passé ne me semble pas du tout constituer un bon chemin pour favoriser la cohésion de nos sociétés. Ce n'est pas en niant le passé que l'on va résoudre les blessures, les ressentis exprimés par certains aujourd'hui. Faut-il, dès lors, aussi supprimer toute trace des Jules César, Charles-Quint ou Napoléon de notre espace public?  Ils n'étaient pas tous des Saints François d'Assise...

- Ne risque-t-on d'oublier en supprimant ces statues?
- Evidemment !  Si un sujet est sensible, c'est une raison supplémentaire pour l'aborder, munis d'une rigueur historique. Se souvenir ne veut pas dire adhérer à tout, mais est, au contraire, indispensable pour mieux se comprendre. Les peuples sans mémoire n'ont tout simplement pas d'avenir.

- Que faire alors?  Des plaques contextualisantes accompagnant ces statues?  Ou placer ces statues dans des musées?
- Je pense qu'il faut commencer par favoriser la connaissance de notre passé en encourageant l'apprentissage de l' Histoire au niveau de l'enseignement obligatoire. Beaucoup de mes étudiants de première année n'ont jamais entendu parler de notre passé colonial. Il faut vraiment faire preuve de pédagogie. C'est ainsi que l'on favorisera le dialogue et que la compréhension mutuelle s'en trouvera renforcée. C'est en connaissant mieux nos passés respectifs que l'on peut mieux vivre le présent. L'amnésie n'a jamais favorisé le bien-être, que du contraire.

- La Belgique doit-elle s'excuser de son passé colonial? Certains disent que ces statues sont le symbole de ce qu'on n'assume pas.
- C'est une question qui appartient aux politiques, mais il faudrait d'abord, de toute façon, se mettre d'accord, au préalable, sur ce qui s'est vraiment passé.

- Les connaissances sur cette période de notre histoire sont insuffisantes selon vous?
- Nous connaissons déjà toute une série d'éléments. Longtemps, la colonisation a été présentée comme une oeuvre de civilisation, en vantant par exemple les apports dans la médecine ou l'enseignement. Il est vrai qu'en 1960, le Congo était le pays le plus alphabétisé d'Afrique. Mais on a longtemps occulté les exactions qui ont indubitablement été graves et nombreuses. En ce qui concerne l'image de Léopold II, on ne retenait que le côté "génie". Dans les manuels flamands, dès les années 1980, le récit des exactions et des abus se développe, avant de se généraliser au début des années 1990. Le volet "génie" est occulté, laissant place à la seule "gêne". Du côté francophone, l'évolution a été moins forte. On peut trouver un ton souvent plus nuancé. Vous ne trouverez pas une unicité de ton entre historiens, mais sur le fond, je pense que les positions sont fortement rapprochées. Il reste néanmoins évident que l'on a encore beaucoup à apprendre à propos de notre passé colonial". 

Le professeur Vincent Dujardin a été rejoint par Caroline Désir, ministre de l'Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont je salue la réaction positive selon moi :   "Le moment que nous vivons est important. Il y a une prise de conscience aigüe, douloureuse même, que les combats que nous menons contre le racisme et les discriminations restent terriblement insuffisants. L'éducation a effectivement un rôle essentiel à jouer. Ce sera vu comme partie intégrante de l'histoire de la Belgique. Ce n'est pas tellement que l'histoire du Congo est donnée de façon maladroite ou sur base de références dépassées, c'est surtout que cette partie de notre histoire est souvent ignorée dans les cours. Certains enfants n'entendent même pas parler de la colonisation belge au Congo, ni des mécanismes d'exploitation et de domination. C'est une lacune qu'on ne peut plus tolérer".

Et qu'en pense le roi Philippe ?

Le Roi se tient prudemment à l'écart de ce débat. En dehors d'une rencontre avec le président du Rwanda Paul Kagame en 2018 et le président du Congo Félix Tshisekedi en 2019 à Bruxelles,  il ne partage pas l'attachement et l'intérêt des rois Baudouin et Albert II pour nos anciennes colonies d'Afrique centrale, et semble vouloir tourner la page. Une question de génération, probablement.

De même, aucun membre de la famille royale n'a assisté à la ré-ouverture du Musée Royal d'Afrique Centrale à Tervuren après ses travaux de rénovation (ce dernier a rappelé qu'il avait restitué une centaine de pièces au Congo et plus de 600 au Rwanda, principalement des masques et des statues).

5 commentaires :

  1. Difficile d'avoir un avis nuancé dans ce fatras d'informations. Il y du vrai, de l'exagéré, de l'expurgé, du "dans l'air du temps", de la mauvaise foi, de la sournoiserie politique, locale et internationale. Quand je pense que Ben Afleck fait un film pour montrer les horreurs de la colonisation au Congo... je me dis qu'il pourrait peut-être balayer sur son seuil (et se faire greffer un cerveau et une objectivité ;) )... Merci pour ton article mesuré

    RépondreSupprimer
  2. Sa fait partie de notre histoire et il faut peut être le signalé q'il faut être prudent pour que sa n'arrive plus maintenant .



    RépondreSupprimer
  3. Une enquête internationale en 1909 dont le résultat a été donné à Berlin a conclu à la non véracité des accusations faites par les grandes puissances à l'égard de Léopold II. Il a fait cesser le cannibalisme et la traite des noirs (non sans difficultés !) En revanche dispensaires, écoles, hôpitaux, réseaux routiers et ferroviaires, construction de ports, création de réserve animalière ont foisonné. Il n'en a pas été pareil dans les colonies voisines...

    RépondreSupprimer
  4. D'accord, s'il faut enlever les statues le représentant, il va falloir rester logique et déconstruire le barrage de la Gileppe, le port de Zeebrugge, des agrandissements du port d’Anvers, des canaux et des voies de chemin de fer, ensuite démonter des monuments imposants comme les serres de Laeken, le site du Cinquantenaire, le Palais de Justice de Bruxelles (pour ce dernier, soyons rassurés les échafaudages sont déjà installés)...
    Allons-nous arrêter de prendre le train car il a développé le réseau de chemin de fer inauguré en 1835 par son père?
    Faut-il aussi interdire les syndicats qui ont vu le jour dans notre pays car il les a autorisés?
    Il y a eu des épisodes tristes et malheureux durant son règne... mais il n'y a pas que cela...

    RépondreSupprimer
  5. On ne peut jamais juger un mort, c’est parfaitement inutile. Ni accuser ni punir des objets d’art. Mais on peut améliorer le sort des vivants. Et il y a des urgences et des dangers qui menacent notre avenir..

    RépondreSupprimer