lundi 25 mai 2015

Les années britanniques du prince Charles (de 1914 à 1926)

Le 17 août 1914, la reine Elisabeth et ses trois enfants quittent Bruxelles pour Anvers. Le roi Albert prévoyait le siège d'Anvers et estima plus prudent d'envoyer ses enfants en Angleterre. Le 31 août à 8h du matin, ils embarquent à bord du "Jan Breydel", escorté par deux croiseurs et deux contre-torpilleurs britanniques. A Folkestone, ils prennent le train jusque Basingstoke (avec un changement à Londres) où les attend lord Curzon à qui les souverains belges allaient confier leurs enfants. Ils sont accompagnés du capitaine-commandant Max de Nève de Roden, précepteur des princes Léopold et Charles, et de Kate Hammersley, gouvernante de la princesse Marie-José.


Ancien vice-roi de l'Inde et futur membre du cabinet de guerre britannique, lord George Cruzon habite le domaine d'Hackwood (dans le Hampshire) qui contenait un millier d'hectares de forêts et de prairies. Il avait fait connaissance du couple royal belge lors de vacances à Cannes et était très honoré d'héberger leurs enfants jusque décembre 1914. Lord Curzon est veuf et a trois filles :  Irène, Cynthia et Alexandra. La reine Marie-José a raconté cette anecdote :  "Alexandra, appelée Sandra, la benjamine, avait notre âge. Ma rencontre avec elle fut orageuse car je soulevai son petit chien Bobby par la queue, tandis que Charles lui envoyait traîtreusement un coup de pied".


La reine Elisabeth retourne à Anvers le 7 septembre.


Comment était la vie quotidienne à Hackwood pour les trois enfants?  Après le breakfast, ils avaient cours. L'après-midi était consacrée au sport avant le traditionnel thé de 17h, accompagné de gâteaux et crèmes, bien loin des restrictions que connaissaient les Belges à cette époque. Ils y vivaient plus librement qu'au château de Laeken. Le dimanche, ils assistaient à la messe à Basingstoke.


La reine Elisabeth revient en Angleterre du 26 novembre au 2 décembre 1914. C'est lors de ce séjour que l'entrée du prince Charles dans un collège est envisagée. Elle en profite pour déjeuner avec le roi George V et la reine Mary à Buckingham Palace. A Hackwood, elle explique à lord Curzon les positions de son époux et du gouvernement belge. Durant la première guerre mondiale, elle joue un rôle non négligeable car sous prétexte d'aller voir ses enfants, elle transmet des messages confidentiels du roi Albert Ier aux autorités britanniques.


Après le départ du commandant Max de Nève de Roden au front, Léopold entre au collège d'Eton et Charles est inscrit à partir de février 1915 au Wixenford College dans le Berkshire. Quant à la princesse Marie-José, elle fréquente le pensionnat pour filles des Ursulines à Brentwood jusqu'en 1917, puis l'Institut Santissima Annunziata di Poggio Imperiale à Florence afin de se familiariser avec la langue et la culture italiennes en vue de son futur mariage avec le prince héritier Umberto de Savoie...


Dans son livre "Albert et Elisabeth : mes parents",  la reine Marie-José d'Italie raconte un incident provoqué par le jeune comte de Flandre :   "Après le départ du commandant de Nève, mon jeune frère, livré à lui-même, provoqua la colère de mon père en assistant à un service anglican à Westminster Abbey. Tous les journaux avaient relaté cet événement et l'on voyait, sur les photos, Charles aux côtés des princes anglais. Cela choqua les catholiques. Pour la Belgique, c'était grave! Charles ne comprenait pas la fureur paternelle, car les services anglicans et catholiques lui semblaient identiques. On ne parlait pas encore d'oeucuménisme à cette époque".


Lors de l'entrée triomphale à cheval de la famille royale à Bruxelles le 22 novembre 1918, le prince Léopold était en tenue de lieutenant du 12ème de ligne et le prince Charles en cadet de la Marine britannique, une faveur des Alliés anglais.


La reine Marie-José d'Italie raconte dans ses mémoires une anecdote qui démontre la complicité qui l'unit à son frère Charles :
"Dans les années 1919 et 1920, notre grande joie était d'accompagner nos parents lors de leurs fréquents séjours à Paris et à Versailles. L'incomparable Pierre de Nolhac, alors conservateur du château, et son adjoint, le charmant Mgr Peratty, historien de Marie-Antoinette, en faisaient revivre le glorieux passé. A Versailles, mes parents avaient choisi l'Hôtel des Réservoirs plutôt que le Trianon, encore trop envahi par les délégués. C'est dans cet hôtel qu'eut lieu le petit fait suivant qui prit, à nos yeux d'enfants, une grande importance, privés que nous étions en Belgique de gâteries alimentaires. Un soir, Charles et moi, voyant nos parents sortir en grande tenue, en profitâmes pour nous commander tout ce qu'il y avait sur la carte de plus succulent et, avouons-le, de plus cher. Etrange menu :  les huîtres avoisinaient avec le caviar qui était dégusté avec des asperges à la sauce hollandaise, et la glace au chocolat ; le tout arrosé de champagne. Mais à peine avions-nous commencé le festin que, pour une raison que nous ne saurons jamais, la porte s'ouvrit et quelle ne fut pas notre stupeur d'y voir réapparaître nos parents!  Ils ne dirent pas un mot, s'assirent, dégustèrent de tout sans nous regarder...et ce fut fini. Ravis de ne pas avoir été grondés, nous n'en restâmes pas moins, Charles et moi, sur notre faim!".


Au terme de la conférence de paix de Paris, le ministre grec Venizélos demande en 1919 au roi Albert Ier et au ministre belge Hymans si le trône de Grèce intéresserait le prince Charles. Il estimait que la famille royale grecque s'est discréditée par son comportement durant la première guerre mondiale. Sans en parler à son fils, le souverain refuse cette proposition. Il ne voulait prendre aucun risque car notre dynastie ne comptait en 1919 que deux successeurs au trône (Léopold et Charles).


Après la première guerre mondiale, Albert Ier et ses sœurs les princesses Joséphine et Henriette discutent de l'avenir du château des Amerois dans les Ardennes, seconde résidence de leurs défunts parents le comte et la comtesse de Flandre qui est sous séquestre. Les deux sœurs rappellent au Roi que le souhait de leur mère était de laisser à son petit-fils, le prince Charles, qui porte le titre de comte de Flandre, une part plus importante de son héritage, le palais de la rue de la Régence à Bruxelles et le château des Amerois, pour perpétuer les traditions de leur Maison. La comtesse Marie estimait que son autre petit-fils, le futur Léopold III, aurait suffisamment de propriétés à sa disposition (palais royal de Bruxelles, châteaux de Laeken et Ciergnon, villa royale d'Ostende) et que les princesses de Belgique épousent des princes étrangers et quittent donc le sol belge.


Le roi Albert Ier ne respecte pas la volonté de sa mère la comtesse de Flandre car il craint que cet arrangement ne soit perçu comme un moyen détourné de soustraire le château au séquestre et car il connaît quelques soucis financiers. En effet, il a déjà vendu le palais de la rue de la Régence pour créer des ressources suffisantes à la Liste Civile qui ne parvient plus à payer toutes les dépenses de la Cour. Le château des Amerois est donc finalement vendu en 1923 pour la somme de sept millions de francs belges.


La princesse Clémentine de Belgique (fille cadette du roi Léopold II) aimait beaucoup Charles et l'emmenait avec son fils le prince Louis Napoléon faire du char à voile sur la plage de La Panne. Elle a écrit à son sujet :   "Il possède l'intelligence et l'humour caustique des Saxe-Cobourg, mêlé à la sensibilité des Wittelbach, mais il se montre plus fantaisiste et moins raisonnable que Léopold".


Après la public school de Winchester, le prince Charles suit différentes formations au sein de la Marine Britannique de 1917 à 1926. Malgré la discipline de fer, il s'y plaît bien. Suite à une autorisation du roi George V (car Charles n'a pas la nationalité britannique), il entre en février 1917 au Naval College d'Osborne, avant d'être inscrit en septembre 1918 comme cadet au Royal Navy College de Darmouth. Un congé spécial lui est accordé pour participer avec sa famille à la Joyeuse Entrée à Bruxelles le 22 novembre 1918.


En décembre 1920,  Charles passe l'examen final du collège de Darmouth. Un mois plus tard, il embarque à bord du navire de guerre "HMS Téméraire" pour une mission en Méditerranée du 4 janvier au 11 avril 1921. Albert Ier assiste à son embarquement à Portsmouth et demande que son fils ne bénéficie d'aucun traitement de faveur. Un autre voyage l'emmène en Norvège à bord du "HMS Thunderer Spithead". Le prince de Galles (futur Edouard VIII) l'invite à l'accompagner en Inde et au Japon, où le comte de Flandre rencontre la famille impériale.


En 1923, Charles est engagé sur le "Barham", un navire de la flotte atlantique. Il séjourne ensuite discrètement en 1924 plusieurs mois en Suisse pour suivre un traitement au sanatorium Victoria. Dans sa biographie du prince, Gunnar Riebs émet l'hypothèse d'une sciatique apparue suite à un muscle forcé en manipulant un levier. Il évoque aussi une nourriture déficiente lors de ses années passées à la Royal Navy. Au début de l'année 1925, Charles reprend au Royal Navy College de Greenwich une formation technique et scientifique du niveau de l'Ecole Royale Militaire de Bruxelles.


Dans les années 20, le prince Charles passe également plusieurs semaines chez sa tante et marraine la princesse Henriette de Belgique (épouse du prince Emmanuel d'Orléans, duc de Vendôme) au château de Tourronde, près d'Evian, qu'elle avait acheté en 1922. Dans son livre "Henriette, duchesse de Vendôme" paru aux éditions Racine, l'historienne Dominique Paoli raconte ce séjour du comte de Flandre :


"Henriette sait que son filleul s'entend très mal avec ses parents. Aussi n'est-elle qu'à moitié étonnée lorsqu'un jour, elle le voit arriver inopinément à Tourronde, où il est venu chercher refuge. La situation est délicate, le prince s'étant enfui du palais. Il ne faut pas froisser ni le père, ni le fils. Prévenu, le Roi adresse immédiatement une lettre à sa sœur pour lui demander officiellement si elle veut bien recevoir Charles. Ce problème réglé, le séjour à Tourronde va durer plusieurs semaines. Une merveilleuse occasion pour le jeune prince de confier ses états d'âme à sa marraine dont il connaît le caractère altruiste et affectueux :  il se sent mal aimé, négligé par sa mère qui s'intéresse surtout à Léopold, l'aîné. Il se sent traité en domestique par le futur roi. S'estimant victime d'une terrible incompréhension, il s'est cabré, car il tient à ses idées et s'est révolté contre ses parents".


En avril 1926, il quitte le Royal Naval War College de Greenwich avec le grade de lieutenant de vaisseau honoraire de première classe, et rentre en Belgique après douze années passées en Grande-Bretagne.
(à suivre...)


sources :
- de Belgique Marie-José, "Albert et Elisabeth de Belgique : mes parents", éditions Le Cri, 1999
- EMMERY Rien, "Charles de Belgique (1903-1983)", éditions Racine, 2008
- LEROY Vincent,  "Le prince Charles de Belgique", éditions Imprimages, 2007
- RIEBS Gunnar, "Charles, comte de Flandre, prince de Belgique, régent du royaume", éditions Labor, 2004

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